
Si la décision de se séparer se fait dans le renoncement, la question est encore plus douloureuse lorsqu’il y a des enfants. Comment agir au mieux pour qu’ils soient le moins affectés possible ?
Du couple amoureux au couple parental
Dans cet article, nous ne traiterons pas de la séparation du couple mais uniquement des phases suivant la décision, considérant qu’elle est commune et dans la volonté de prendre en compte l’enfant dans le processus.
Deux personnes se séparent. La décision est prise, elle sonne le glas de leur couple amoureux et ils s’inquiètent maintenant de la manière dont ils vont disloquer leur couple conjugal lié au couple parental et réaménager ce dernier en priorisant les besoins de leur enfant.
L’évolution du modèle familial
Nous nous trouvons ici en face d’un système. Une famille. À l’époque, la famille était le ciment du couple, sa « raison d’être », ce qui englobait le couple conjugal. Or, ce n’est plus le cas actuellement. Et cela conduit à la création de nouveaux modèles, presque aussi nombreux qu’il y a d’individualités mais avec une caractéristique commune :« l’enfant n’est plus un projet du couple, (…) il est un projet parental individuel ». Selon R. Neuburger (2014), « il est clair qu’en cas d’insatisfaction dans le couple, (…) chacun semble se souhaiter un couple, voire une famille, mais sans que les deux institutions soient vécues comme indissociables ». Dans cet article, c’est le postulat que nous prendrons.
Créer un nouveau système familial
Pour cela, il n’y a pas de solution unique. Chaque système familial s’est construit sur sa propre réalité, et en tant que tel, il tend toujours à maintenir l’équilibre, c’est à dire qu’il pourra être réfractaire au changement.
La consultation d’un spécialiste tel qu’un thérapeute de couple ou un thérapeute familial pourra aider à obtenir des clés pour une bonne séparation et la création d’un nouveau système familial. Un des modèles utilisé pourra être par exemple, celui de la systémie constructiviste.
Il s’agira pour le thérapeute de créer un espace permettant au couple parental d’élaborer des idées, les actes et paroles qu’ils estimeront être les meilleures pour la construction de leur modèle en restant au plus proche de la réalité que leur système familial a construit.
Vaincre la culpabilité parentale
La culpabilité pointe certainement le bout de son nez. À cela, nous ne pouvons que citer S. Freud qui disait qu’« être parent est un des trois métiers impossibles » (dans Naouri, 2004). L’évolution actuelle montre que « le lien conjugal peut se défaire mais le parental résiste mieux désormais » (Cicchelli Pugeault, 2003). En effet, la législation a suivi et ratifié les évolutions sociologiques notamment avec la disparition de la notion de puissance paternelle, remplacée par l’autorité parentale conjointe. Celle-ci est appuyée par une modification des rôles éducatifs. Là où, auparavant, le père était cantonné à la transmission de l’appartenance et la mère à celle du relationnel, « la norme actuelle est donc celle de la coparentalité, où les deux parents sont supposés s’investir à égalité dans les fonctions éducatives » (Neuburger, 2014). Considérant cela, « la valorisation de l’épanouissement de l’enfant (…) ne justifie pas le maintien du couple conjugal formé par les parents » (Cicchelli Pugeault, 2003), chacun des deux parents étant capable d’apporter une éducation égale à son enfant.
C’est du moins le pré-supposé que l’on aura ici.
L’impact du couple amoureux sur le couple parental
Pour bien se séparer, il est important de se baser sur ce qu’a été le couple amoureux. Depuis combien de temps ont-ils été ensemble, quelle était globalement leur histoire conjugale, quand ont-ils eu leur.s enfant.s, comment cela s’est-il passé et quelles sont les raisons de leur séparation. Il s’agit de s’assurer que cette décision est prise en commun et que tous les deux sont au clair et favorables à cette issue. En effet, si cette décision est commune et surtout sereine, le rapport aux enfants et la manière de mettre les choses en place n’en sera que plus simple. Parce qu’il peut arriver que les enfants permettent de « contourner le face à face problématique » (Kaufmann, 1999), ce qui pourrait représenter une forme de déni de la rupture et de ses raisons en cristallisant l’attention sur le tiers représenté par les enfants. Il s’agira donc de s’assurer que le couple amoureux qu’ils ont été a bien élaboré en amont les raisons de sa rupture et effectué une séparation entre couple conjugal et couple parental. Si tel n’était pas le cas, un travail devra être fait en amont pour bien réaliser leur rupture.
La place de l’enfant dans la séparation
Si, comme on l’a défini plus haut, les évolutions sociétales tendent vers une égalité des responsabilités de chaque parent sur la prise en charge globale de l’enfant, « celles-ci ne parviennent pas à empêcher le groupe mère-enfants de se développer, régulièrement, inexorablement » (Kaufmann, 1999). Gardant cela à l’esprit, il s’agira de questionner les parents sur leur.s enfant.s. Quel âge ont-ils, globalement, comment vont-ils, ont-ils conscience des difficultés de couple que ses parents ont rencontré ? Pensent-ils qu’il se doute de leur décision de se séparer ?
Quels sont les rapports entre les parents : sont-ils conflictuels au quotidien ou plutôt apaisés ? Se disputent-ils beaucoup, et si oui, leur.s enfant.s en sont-il le témoin ? Arrivent-ils à dialoguer ?
Les émotions de l’enfant lors d’une séparation
Même si nous nous trouvons dans le meilleur des cas, à savoir, un niveau de décision des parents plutôt apaisé, la séparation est un deuil à vivre, pour eux, comme pour l’enfant. « La séparation évoque la menace d’une perte irréversible : dans la vie inconsciente, se séparer, ce serait comme mourir » (Chabert, 2012). Il s’agit là de se représenter le processus psychique à l’œuvre. Bien entendu, des nuances se font en fonction de chaque individu, de leur opération psychique et de la manière dont s’est accompagné, processus pour lequel il peut être important de consulter. Le ressenti de l’enfant lors de la séparation pourra être de l’ordre de la douleur et de l’angoisse. Si la douleur est la véritable réaction à la perte, l’angoisse quant à elle « se situe en avant-poste, elle occupe une place de guetteur, anticipant le danger, le conjuguant parfois en même temps » (Chabert, 2012).
Clarifier l’organisation de la séparation pour réduire les émotions de l’enfant
Avant l’annonce, il est important que le couple ait envisagé les modalités de garde, leurs projets quant à l’organisation de leur quotidien individuel avec l’enfant, tout en précisant bien sûr, que ce dernier sera associé au projet . Cela permet de signifier à l’enfant la séparation, non pas comme une rupture définitive, mais comme un changement. Il lui sera donc possible, dans son processus de séparation, de mettre en place un espace transitionnel dans lequel il pourra se projeter, et où l’angoisse et la douleur provoqués par la séparation pourront être « contrôlés », travaillés, grâce à sa participation effective dans le processus. En effet, selon C. Chabert (2012), la séparation provoque angoisse et mélancolie mais également libération et créativité. L’espace transitionnel de Winnicott pourra symboliquement ici être un espace entre l’état d’avant et l’état futur (comment l’enfant vivait avec ses parents et comment il vivra à partir de maintenant) qui lui permettra de supporter et d’élaborer les enjeux et émotions provoqués par cette séparation. En effet, « tout changement implique une séparation d’avec ce qui autrefois était là et à quoi il faut maintenant renoncer » (Chabert, 2012). Cette élaboration possible dépend bien sûr de l’âge de l’enfant, mais également de la manière dont les parents se séparent et communiquent, entre eux et avec leur enfant.
Comment préserver les rapports avec l’enfant
« Pour « exister », il nous faut « appartenir »… Quand on ne s’inscrit pas dans un circuit d’appartenance, le sentiment d’être soi devient flou car le monde n’est pas structuré » (Cyrulnik dans Neuburger, 2014). La séparation des parents provoque une séparation pour l’enfant, celle des liens qu’il avait tissé au quotidien avec ses parents. Cela ne change rien me direz-vous, puisque nous restons ses parents de manière séparée, considérant la théorie présentée plus haut qu’actuellement, être parent est un projet individuel. Cependant, il faudra pour l’enfant renoncer, non seulement à une vie quotidienne, mais également à des liens qui avaient été construits avec des parents qui étaient ensemble, qui donc avaient créé une dynamique particulière, non seulement entre eux, mais également individuellement avec lui. Celle-ci changera également.
La méthodologie systémique travaille sur les réseaux et la mise en évidence des flux. Il s’agira par exemple pour le thérapeute de s’enquérir des rapports qu’entretient chaque parent avec l’enfant, mais également du couple parental tel qu’il a été constitué avec l’enfant. De la même manière, comment se comporte l’enfant avec l’un et l’autre des parents et les deux ensemble. Si le rapport de l’enfant au couple parental est satisfaisant, il s’agira au maximum de le préserver dans la séparation et par la suite.
Clarifier les intérêts et besoins de chacun
Il y a bien entendu un caractère impératif à la communication avec l’enfant, notamment sur les termes de la séparation (motifs excluant totalement la responsabilité de l’enfant), l’organisation envisagée, la volonté de chaque parent de maintenir le lien créé avec l’enfant de même que la solidarité du couple parental. Dans l’exploration systémique, il s’agit de relever les intérêts et les besoins de chaque acteur du système. Le travail avec un thérapeute permettra d’envisager le système familial souhaité et comment celui-ci va se modifier dans l’espace et le temps.
La voix de l’enfant, impérative au changement
Si auparavant, la voix de l’enfant n’était souvent pas recherchée, notamment pour des raisons invoquées « d’immaturité et de fragilité de sentiments » (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005), la contribution des sciences sociales a permis de souligner ses compétences sur les plans socio-cognitifs et émotionnels, justifiant l’impératif de sa participation aux changements le concernant directement.
Les réactions de l’enfant face au conflit parental
Nous pouvons ici relever la notion de confiance émotionnelle . Elle se développe chez l’enfant par la qualité affective de ce qu’il vit. En cas de conflit entre les parents, « les enfants réagissent (…) selon le degré de menace affective qu’il comporte » (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005).
Grynch et Fincham (1990-1993) ont identifié « l’élaboration primaire et secondaire », c’est à dire, les stratégies cognitives et les processus psychiques à l’aide desquels l’enfant élabore activement le conflit parental. Ainsi, l’élaboration primaire lui permet d’avoir des informations sur la gravité du conflit quant à la secondaire, elle lui apporte des informations sur la manière de l’aborder. Une étude longitudinale a mis en évidence qu’il est plus risqué pour l’enfant de vivre dans une famille unie mais avec des rapports conflictuels que dans une famille séparée avec des rapports sereins. En effet, les difficultés de l’enfant « semblent liées à la relation établie avec les parents et au nombre élevé de conflits qui empêche la collaboration familiale » (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005).
Cela peut déculpabiliser les parents d’une séparation et les mettre en garde sur la nécessité de réduire au maximum les conflits pour le bien-être de leur enfant et la configuration familiale à venir.
L’enfant pris dans les configurations familiales du conflit
Nous pouvons évoquer la notion de « triangulation » (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005). Celle-ci apparaît lorsque les parents sont en grandes tensions et dans l’incapacité de les affronter directement dans leur relation conjugale. Ils vont alors y inclure l’enfant, que ce soit dans leurs pensées ou leurs actions.
Minuchin a étudié la question de la triangulation et déterminé trois triades rigides pouvant en découler et où l’enfant sera dans l’obligation de prendre un rôle particulier (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005). Cela créera une « collusion familiale ». Tout d’abord la coalition. L’un des deux parents établit une alliance rigide avec l’enfant contre le deuxième parent. Cela aura en général comme conséquence que l’enfant refusera de parler au parent exclu. La triangulation consiste à ce que chaque parent tente d’avoir l’enfant de son côté. Contre l’autre et toute tentative de l’enfant de se rapprocher de l’autre parent sera considérée comme une trahison. Et enfin la déviation. Lorsque les parents sont dans l’incapacité d’élaborer et de négocier leur conflit, ils le projettent sur leur enfant qui constituera le symptôme. Ces processus étant bien souvent totalement inconscients, le thérapeute pourra les déceler et les travailler avec les parents.
L’enfant et le conflit de loyauté
Quelle que soit la nature de la dyade pathologique, l’enfant la vivra avec un sentiment de culpabilité et d’absence de liberté car il sera soumis à des demandes d’alliances et à des conflits de loyautés. Il pourra présenter des troubles dépendant à la fois de sa confiance émotionnelle et de son âge lors de la séparation. Il s’agira de distinguer les effets normaux à court terme de ceux qui s’installent progressivement dans le domaine du pathologique. Cela peut aller de troubles anxieux, colère, honte, sentiment d’abandon à des manifestations dépressives.
Cette description n’est en aucun cas une prédiction, il s’agit de prévenir et limiter au maximum les effets négatifs sur l’enfant grâce aux comportements proposés plus haut. Et dans tous les cas, une prise en charge individuelle de l’enfant ou du système familial pourra être faite par un professionnel.
En conclusion : pour une bonne séparation
Comme l’énonce si bien R. Neuburger (2014), « certains divorces qui s’annoncent favorables peuvent aussi se révéler très périlleux ». Lors d’une séparation, il est important d’avoir des points de vigilance et d’attention sur les rouages du système familial actuel et à venir. D’abord des membre du couple entre eux puis avec leur enfant en abordant sous l’angle qu’ils estiment le meilleur la séparation auprès de lui et en élaborant ses modalités tous les trois. Afin d’assurer un filet de sécurité, il est possible, si nécessaire, de consulter un professionnel adapté à la demande : psychologue ou médiateur spécialisé dans la systémie familiale, psychologue clinicien pour une thérapie individuelle de l’un des membres par exemple.