Comment réussir sa séparation pour son enfant

Si la décision de se séparer se fait dans le renoncement, la question est encore plus douloureuse lorsqu’il y a des enfants. Comment agir au mieux pour qu’ils soient le moins affectés possible ?

Du couple amoureux au couple parental

Dans cet article, nous ne traiterons pas de la séparation du couple mais uniquement des phases suivant la décision, considérant qu’elle est commune et dans la volonté de prendre en compte l’enfant dans le processus.

Deux personnes se séparent. La décision est prise, elle sonne le glas de leur couple amoureux et ils s’inquiètent maintenant de la manière dont ils vont disloquer leur couple conjugal lié au couple parental et réaménager ce dernier en priorisant les besoins de leur enfant.

L’évolution du modèle familial

Nous nous trouvons ici en face d’un système. Une famille. À l’époque, la famille était le ciment du couple, sa « raison d’être », ce qui englobait le couple conjugal. Or, ce n’est plus le cas actuellement. Et cela conduit à la création de nouveaux modèles, presque aussi nombreux qu’il y a d’individualités mais avec une caractéristique commune :« l’enfant n’est plus un projet du couple, (…) il est un projet parental individuel ». Selon R. Neuburger (2014), « il est clair qu’en cas d’insatisfaction dans le couple, (…) chacun semble se souhaiter un couple, voire une famille, mais sans que les deux institutions soient vécues comme indissociables ». Dans cet article, c’est le postulat que nous prendrons.

Créer un nouveau système familial

Pour cela, il n’y a pas de solution unique. Chaque système familial s’est construit sur sa propre réalité, et en tant que tel, il tend toujours à maintenir l’équilibre, c’est à dire qu’il pourra être réfractaire au changement.

La consultation d’un spécialiste tel qu’un thérapeute de couple ou un thérapeute familial pourra aider à obtenir des clés pour une bonne séparation et la création d’un nouveau système familial. Un des modèles utilisé pourra être par exemple, celui de la systémie constructiviste.

Il s’agira pour le thérapeute de créer un espace permettant au couple parental d’élaborer des idées, les actes et paroles qu’ils estimeront être les meilleures pour la construction de leur modèle en restant au plus proche de la réalité que leur système familial a construit.

Vaincre la culpabilité parentale

La culpabilité pointe certainement le bout de son nez. À cela, nous ne pouvons que citer S. Freud qui disait qu’« être parent est un des trois métiers impossibles » (dans Naouri, 2004). L’évolution actuelle montre que « le lien conjugal peut se défaire mais le parental résiste mieux désormais » (Cicchelli Pugeault, 2003). En effet, la législation a suivi et ratifié les évolutions sociologiques notamment avec la disparition de la notion de puissance paternelle, remplacée par l’autorité parentale conjointe. Celle-ci est appuyée par une modification des rôles éducatifs. Là où, auparavant, le père était cantonné à la transmission de l’appartenance et la mère à celle du relationnel, « la norme actuelle est donc celle de la coparentalité, où les deux parents sont supposés s’investir à égalité dans les fonctions éducatives » (Neuburger, 2014). Considérant cela, « la valorisation de l’épanouissement de l’enfant (…) ne justifie pas le maintien du couple conjugal formé par les parents » (Cicchelli Pugeault, 2003), chacun des deux parents étant capable d’apporter une éducation égale à son enfant.

C’est du moins le pré-supposé que l’on aura ici.

L’impact du couple amoureux sur le couple parental

Pour bien se séparer, il est important de se baser sur ce qu’a été le couple amoureux. Depuis combien de temps ont-ils été ensemble, quelle était globalement leur histoire conjugale, quand ont-ils eu leur.s enfant.s, comment cela s’est-il passé et quelles sont les raisons de leur séparation. Il s’agit de s’assurer que cette décision est prise en commun et que tous les deux sont au clair et favorables à cette issue. En effet, si cette décision est commune et surtout sereine, le rapport aux enfants et la manière de mettre les choses en place n’en sera que plus simple. Parce qu’il peut arriver que les enfants permettent de « contourner le face à face problématique » (Kaufmann, 1999), ce qui pourrait représenter une forme de déni de la rupture et de ses raisons en cristallisant l’attention sur le tiers représenté par les enfants. Il s’agira donc de s’assurer que le couple amoureux qu’ils ont été a bien élaboré en amont les raisons de sa rupture et effectué une séparation entre couple conjugal et couple parental. Si tel n’était pas le cas, un travail devra être fait en amont pour bien réaliser leur rupture.

La place de l’enfant dans la séparation

Si, comme on l’a défini plus haut, les évolutions sociétales tendent vers une égalité des responsabilités de chaque parent sur la prise en charge globale de l’enfant, « celles-ci ne parviennent pas à empêcher le groupe mère-enfants de se développer, régulièrement, inexorablement » (Kaufmann, 1999). Gardant cela à l’esprit, il s’agira de questionner les parents sur leur.s enfant.s. Quel âge ont-ils, globalement, comment vont-ils, ont-ils conscience des difficultés de couple que ses parents ont rencontré ? Pensent-ils qu’il se doute de leur décision de se séparer ?

Quels sont les rapports entre les parents : sont-ils conflictuels au quotidien ou plutôt apaisés ? Se disputent-ils beaucoup, et si oui, leur.s enfant.s en sont-il le témoin ? Arrivent-ils à dialoguer ?

Les émotions de l’enfant lors d’une séparation

Même si nous nous trouvons dans le meilleur des cas, à savoir, un niveau de décision des parents plutôt apaisé, la séparation est un deuil à vivre, pour eux, comme pour l’enfant. « La séparation évoque la menace d’une perte irréversible : dans la vie inconsciente, se séparer, ce serait comme mourir » (Chabert, 2012). Il s’agit là de se représenter le processus psychique à l’œuvre. Bien entendu, des nuances se font en fonction de chaque individu, de leur opération psychique et de la manière dont s’est accompagné, processus pour lequel il peut être important de consulter. Le ressenti de l’enfant lors de la séparation pourra être de l’ordre de la douleur et de l’angoisse. Si la douleur est la véritable réaction à la perte, l’angoisse quant à elle « se situe en avant-poste, elle occupe une place de guetteur, anticipant le danger, le conjuguant parfois en même temps » (Chabert, 2012).

Clarifier l’organisation de la séparation pour réduire les émotions de l’enfant

Avant l’annonce, il est important que le couple ait envisagé les modalités de garde, leurs projets quant à l’organisation de leur quotidien individuel avec l’enfant, tout en précisant bien sûr, que ce dernier sera associé au projet . Cela permet de signifier à l’enfant la séparation, non pas comme une rupture définitive, mais comme un changement. Il lui sera donc possible, dans son processus de séparation, de mettre en place un espace transitionnel dans lequel il pourra se projeter, et où l’angoisse et la douleur provoqués par la séparation pourront être « contrôlés », travaillés, grâce à sa participation effective dans le processus. En effet, selon C. Chabert (2012), la séparation provoque angoisse et mélancolie mais également libération et créativité. L’espace transitionnel de Winnicott pourra symboliquement ici être un espace entre l’état d’avant et l’état futur (comment l’enfant vivait avec ses parents et comment il vivra à partir de maintenant) qui lui permettra de supporter et d’élaborer les enjeux et émotions provoqués par cette séparation. En effet, « tout changement implique une séparation d’avec ce qui autrefois était là et à quoi il faut maintenant renoncer » (Chabert, 2012). Cette élaboration possible dépend bien sûr de l’âge de l’enfant, mais également de la manière dont les parents se séparent et communiquent, entre eux et avec leur enfant.

Comment préserver les rapports avec l’enfant

«  Pour « exister », il nous faut « appartenir »Quand on ne s’inscrit pas dans un circuit d’appartenance, le sentiment d’être soi devient flou car le monde n’est pas structuré » (Cyrulnik dans Neuburger, 2014). La séparation des parents provoque une séparation pour l’enfant, celle des liens qu’il avait tissé au quotidien avec ses parents. Cela ne change rien me direz-vous, puisque nous restons ses parents de manière séparée, considérant la théorie présentée plus haut qu’actuellement, être parent est un projet individuel. Cependant, il faudra pour l’enfant renoncer, non seulement à une vie quotidienne, mais également à des liens qui avaient été construits avec des parents qui étaient ensemble, qui donc avaient créé une dynamique particulière, non seulement entre eux, mais également individuellement avec lui. Celle-ci changera également.

La méthodologie systémique travaille sur les réseaux et la mise en évidence des flux. Il s’agira par exemple pour le thérapeute de s’enquérir des rapports qu’entretient chaque parent avec l’enfant, mais également du couple parental tel qu’il a été constitué avec l’enfant. De la même manière, comment se comporte l’enfant avec l’un et l’autre des parents et les deux ensemble. Si le rapport de l’enfant au couple parental est satisfaisant, il s’agira au maximum de le préserver dans la séparation et par la suite.

Clarifier les intérêts et besoins de chacun

Il y a bien entendu un caractère impératif à la communication avec l’enfant, notamment sur les termes de la séparation (motifs excluant totalement la responsabilité de l’enfant), l’organisation envisagée, la volonté de chaque parent de maintenir le lien créé avec l’enfant de même que la solidarité du couple parental. Dans l’exploration systémique, il s’agit de relever les intérêts et les besoins de chaque acteur du système. Le travail avec un thérapeute permettra d’envisager le système familial souhaité et comment celui-ci va se modifier dans l’espace et le temps.

La voix de l’enfant, impérative au changement

Si auparavant, la voix de l’enfant n’était souvent pas recherchée, notamment pour des raisons invoquées « d’immaturité et de fragilité de sentiments » (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005), la contribution des sciences sociales a permis de souligner ses compétences sur les plans socio-cognitifs et émotionnels, justifiant l’impératif de sa participation aux changements le concernant directement.

Les réactions de l’enfant face au conflit parental

Nous pouvons ici relever la notion de confiance émotionnelle . Elle se développe chez l’enfant par la qualité affective de ce qu’il vit. En cas de conflit entre les parents, « les enfants réagissent (…) selon le degré de menace affective qu’il comporte » (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005).

Grynch et Fincham (1990-1993) ont identifié « l’élaboration primaire et secondaire », c’est à dire, les stratégies cognitives et les processus psychiques à l’aide desquels l’enfant élabore activement le conflit parental. Ainsi, l’élaboration primaire lui permet d’avoir des informations sur la gravité du conflit quant à la secondaire, elle lui apporte des informations sur la manière de l’aborder. Une étude longitudinale a mis en évidence qu’il est plus risqué pour l’enfant de vivre dans une famille unie mais avec des rapports conflictuels que dans une famille séparée avec des rapports sereins. En effet, les difficultés de l’enfant « semblent liées à la relation établie avec les parents et au nombre élevé de conflits qui empêche la collaboration familiale » (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005).

Cela peut déculpabiliser les parents d’une séparation et les mettre en garde sur la nécessité de réduire au maximum les conflits pour le bien-être de leur enfant et la configuration familiale à venir.

L’enfant pris dans les configurations familiales du conflit

Nous pouvons évoquer la notion de « triangulation » (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005). Celle-ci apparaît lorsque les parents sont en grandes tensions et dans l’incapacité de les affronter directement dans leur relation conjugale. Ils vont alors y inclure l’enfant, que ce soit dans leurs pensées ou leurs actions.

Minuchin a étudié la question de la triangulation et déterminé trois triades rigides pouvant en découler et où l’enfant sera dans l’obligation de prendre un rôle particulier (Togliatti, Lubrano, Franci, 2005). Cela créera une « collusion familiale ». Tout d’abord la coalition. L’un des deux parents établit une alliance rigide avec l’enfant contre le deuxième parent. Cela aura en général comme conséquence que l’enfant refusera de parler au parent exclu. La triangulation consiste à ce que chaque parent tente d’avoir l’enfant de son côté. Contre l’autre et toute tentative de l’enfant de se rapprocher de l’autre parent sera considérée comme une trahison. Et enfin la déviation. Lorsque les parents sont dans l’incapacité d’élaborer et de négocier leur conflit, ils le projettent sur leur enfant qui constituera le symptôme. Ces processus étant bien souvent totalement inconscients, le thérapeute pourra les déceler et les travailler avec les parents.

L’enfant et le conflit de loyauté

Quelle que soit la nature de la dyade pathologique, l’enfant la vivra avec un sentiment de culpabilité et d’absence de liberté car il sera soumis à des demandes d’alliances et à des conflits de loyautés. Il pourra présenter des troubles dépendant à la fois de sa confiance émotionnelle et de son âge lors de la séparation. Il s’agira de distinguer les effets normaux à court terme de ceux qui s’installent progressivement dans le domaine du pathologique. Cela peut aller de troubles anxieux, colère, honte, sentiment d’abandon à des manifestations dépressives.

Cette description n’est en aucun cas une prédiction, il s’agit de prévenir et limiter au maximum les effets négatifs sur l’enfant grâce aux comportements proposés plus haut. Et dans tous les cas, une prise en charge individuelle de l’enfant ou du système familial pourra être faite par un professionnel.

En conclusion : pour une bonne séparation

Comme l’énonce si bien R. Neuburger (2014), « certains divorces qui s’annoncent favorables peuvent aussi se révéler très périlleux ». Lors d’une séparation, il est important d’avoir des points de vigilance et d’attention sur les rouages du système familial actuel et à venir. D’abord des membre du couple entre eux puis avec leur enfant en abordant sous l’angle qu’ils estiment le meilleur la séparation auprès de lui et en élaborant ses modalités tous les trois. Afin d’assurer un filet de sécurité, il est possible, si nécessaire, de consulter un professionnel adapté à la demande : psychologue ou médiateur spécialisé dans la systémie familiale, psychologue clinicien pour une thérapie individuelle de l’un des membres par exemple.

Le rôle de l’inconscient dans la rencontre et l’évolution du couple

Cet article analyse les dynamiques inconscientes à l’origine de la rencontre amoureuse et de la formation d’un couple. Il met en lumière l’influence des conflits intérieurs, des projections et des schémas familiaux dans le choix du partenaire. L’engagement et le désir sont abordés sous l’angle psychanalytique, soulignant les défis d’une relation durable.

Passez une heure dans la rue d’une grande ville et interrogez les passants. Tout le monde aura un avis sur la question. Et cela parce que la rencontre, le couple, sont des thématiques universelles et accrocheuses. L’accroche, pour ma part, aurait été de répondre, en première intention : « lorsque les deux personnes en ont envie. Lorsqu’elles s’y autorisent, lorsque l’idée de l’engagement ne les fait pas partir en courant ». Et pourquoi auraient-ils peur ?

Entre rencontre amoureuse et rencontre de soi

« Est-ce que tout commence toujours par ce désarroi ? L’amour (…) ? Cette effraction en soi de l’autre » (Dufourmantelle, 2012, p 13). Parce qu’en effet, la rencontre n’est rien que cet autre que l’on retrouve en soi. « Ce n’est pas sans raison que l’enfant au sein de la mère est devenu le prototype de toute relation amoureuse. Trouver l’objet sexuel n’est, en somme, que le retrouver » (Freud, 1962, p 129) disait Freud dans ses trois essais sur la théorie sexuelle. Ne serait-ce pas effrayant ? Cette idée que l’on ne serait choisi par quelqu’un, que l’on déciderait de faire couple avec lui non pas pour qui l’on est, notre personnalité pétillante, nos boucles blondes, notre humour décapant ? Mais parce nous résonnons en lui à en faire vibrer ses conflits infantiles, là, tout au fond de son inconscient, à lui permettre de rejouer son lien avec son premier objet d’amour, à lui permettre de se défendre d’un retour du refoulé qui serait trop difficile à gérer psychiquement et, qui sait, si tout se passe bien, à lui permettre de s’apaiser, de s’asseoir sur une assise psychique plus stable et transcendée. Seulement n’oublions pas : comme l’a bien décrit P. Robert dans son article  La constitution du couple, si nous sommes choisi pour être l’objet de quelqu’un, l’objet a également son mot à dire et donc « l’Autre ne peut être réduit à l’Objet ».

L’engagement, clé de voûte du couple

Pour en revenir à ma réponse un peu naïve au micro-trottoir sur la question de l’engagement, si nous reprenons le Triangle de l’amour de Sternberg, un amour accompli est équilibré entre l’Intimité, la Passion et l’Engagement. Cette décision de s’investir dans une relation est, selon moi, la composante charnière permettant à la rencontre de deux personnes de faire couple. En effet, dans nos société actuelles, basées sur le plaisir à portée de main, le choix infini, le doute, la libération de la parole, la recherche de proximité, il me semble plus facile d’établir des liens de complicité s’apparentant à de l’Intimité, d’avoir des relations sexuelles et passionnées que de les faire perdurer et les développer avec la même personne.

Jean-G. Lemaire pose d’ailleurs une grande différence sur les processus inconscients intervenant sur le choix d’Objet selon que celui-ci sera destiné à une relation éphémère de satisfaction immédiate d’un besoin ou à « une contribution à l’équilibre personnel et à l’organisation défensive du Moi en face d’un ensemble pulsionnel jamais totalement contrôlé » (Lemaire, 1986, p 55).

Ce qui nous amène directement au rôle de l’inconscient dans la rencontre.

Le choix amoureux : une défense inconsciente

« Notre inconscient va nous faire « choisir » celui ou celle qui va maintenir le statu quo » (Prieur, 2021, p 91). Cela fait écho à la phrase citée précédemment et la notion de défense. Comment est-il possible d’être choisi (et de choisir en retour) sur une base inconsciente défensive, un « emboîtement défensif » (Robert, p 31) ? L’amour n’est-il pas sensé être sécurisant, protecteur justement ?

De manière tout à fait caricaturale expliquons que, lors d’une structuration psychique dite normale, la construction du Moi passe par des conflits internes infantiles (c’est, par exemple, le bien connu complexe d’Oedipe). Il restera en général des pulsions « mal intégrées ». Celles-ci seront refoulées et des mécanismes de défenses bien installés afin de lutter contre leur retour.

Évoluant bon an mal an dans notre vie, si tant est que nous ne souhaitions pas une relation éphémère (J-G Lemaire), nous choisirions un partenaire « destiné à éviter que cette tendance inconsciente refusée soit stimulée (Sommantico, p 160). Il s’agirait de rechercher chez l’autre des caractéristiques renforçant nos mécanismes de défense.

Notre partenaire comme bouclier défensif

La notion de collusion établie par J. Willi en 1975 va encore plus loin en déclarant comme une force d’attraction inconsciente mutuelle le fait que, lors d’une rencontre, deux personnes vont inconsciemment se reconnaître un conflit intérieur commun et se choisiront parce que chacun, individuellement, y réagit différemment. Ainsi, l’autre, de par sa manière différente de réagir, représentera un bouclier défensif au retour du refoulé. Il est important de garder à l’esprit que ce processus est commun voire normal. En effet, la fonction positive du couple est, d’un point de vue psychanalytique, de permettre aux individualités de « dépasser » certains conflits psychiques, par la même, de dépasser la pulsion d’agression et la culpabilité qui y est liée. Cela lui permettant de s’apaiser et de s’asseoir sur des bases psychiques plus élaborées. Cette collusion peut également avoir un revers négatif à travers, entre autre, ce que R. Kaës appelle le « pacte dénégatif » et d’autres aspects que nous développerons plus après.

Ainsi, il sera nécessaire, tout au long de la vie conjugale, d’avoir une souplesse psychique pour ne pas cristalliser ce phénomène. P. Robert exprime cela dans son article « Les liens du couple » comme le fait qu’« il y a un barrage commun aux matériaux refoulés avec des petits « lâchers d’eau » qui permettent d’en jouir avec précaution pour préserver l’écologie conjugale » (Robert, p 161).

Selon J-G. Lemaire, en cas par exemple de problèmes de sexualité dans le couple, remonter au choix amoureux peut être un levier de travail. « La dysfonction sexuelle doit souvent être considérée comme un effet systémique (…), il devient intéressant et important au point de vue thérapeutique de comprendre comment s’est organisé le choix réciproque des partenaires » (Lemaire, 1986, p 123).

Selon ce développement, le système défensif inconscient paraît être essentiel dans la rencontre de deux personnes qui vont faire couple. Mais également, au-delà des caractéristiques de l’Objet en lui-même, ce qui fera force dans le choix inconscient du partenaire est la relation que l’on a avec l’Objet et sa notion de répétition. « Finalement, ce qui se répète dans l’amour, ce sont les conditions de son apparition ; c’est l’acte de naissance des fantômes » (Gaudillière dans Dufourmantelle, 2012, p 25).

La dimension narcissique dans la création du couple

Intervient dans cette relation à l’Objet, une dimension narcissique. J-G. Lemaire étaye cela au travers des notions kleiniennes de clivage et d’idéalisation. Dans la structuration de la relation de l’enfant à l’Objet, celui-ci va commencer par un clivage en mauvais et bon objet. De la même manière, nous retrouverons à l’âge adulte cette idéalisation du bon Objet dans les premiers temps de la relation amoureuse. En effet, afin qu’il soit gratificateur, l’individu va projeter sur son conjoint tous les aspects positifs que peuvent lui amener le bon Objet. Ce mécanisme permet en retour, une réassurance narcissique puisqu’« aimer le bon Objet, c’est être nous-même le bon Objet » (Lemaire, 1986, p 93).

Le couple : entre répétition de schémas familiaux et création

Cette notion fait donc intervenir un aspect fondateur : la relation filiale. En effet, selon R. Kaës, il y aurait deux dimensions intervenant dans le lien à l’Objet : la répétition de ce que les partenaires ont vécu dans leur famille réciproque, notamment de ce qu’ils ont vu du couple parental et une nouveauté, quelque chose à créer qui serait liée à la rencontre de l’altérité. Ainsi, si « toute affiliation se fonde sur les failles de la filiation » (Granjon dans Robert, p 161), la rencontre créera une péninsule de projections que chacun des partenaire aura à s’approprier pour le faire évoluer. La rencontre de deux individus, au-delà de leurs inconscients déjà chargés, met en scène bien d’autres acteurs qui tournent en arrière fond. « Lorsqu’on fait couple, se rajoutent aux loyautés familiales, les loyautés du couple » (Prieur, 2021, p 91). Poids lourd qui attend ces individus qui se mettent en couple mais il s’agit pour eux d’être un atout pour évoluer et, comme on le notait plus haut, pouvoir s’asseoir sur une base psychique plus apaisée. Car si la répétition peut aliéner, elle permet aussi dés échappatoires. « Selon Kierkegaard, la répétition est une naissance au second degré qui se fonde sur une transcendance » (Dufourmantelle, 2012, p 33).

De la réussite de la rencontre

Pour que la transcendance opère chez l’individu, il s’agirait pour lui d’être suffisamment sécure à ce moment là. En effet, une personne peut enchaîner les relations difficiles, pauvres, qui « ne lui servent à rien » pendant longtemps s’il est en proie à une forte « insécurité ontologique » qu’il aurait du mal à dépasser. Ce concept introduit par J-G. Lemaire envisage qu’il faut avoir un self bien construit et un solide sentiment de son existence pour que le partenaire choisi et la relation conjugale construite soient transcendants. C’est à présent qu’apparaissent les problèmes rencontrés par le couple du fait de l’intervention de l’inconscient dans sa création.

La phase de lune de miel : en sortir ensemble

« Le lien nous aliène ou nous soutient » (Robert, p 160) selon P. Robert. Ainsi par exemple, reprenons la part du narcissisme dans la rencontre. Comme expliqué plus avant, selon le concept de clivage, l’individu idéalisera dans un premier temps son conjoint durant ce que l’on appelle la phase de lune de miel. Seulement voilà, la lune de miel n’est pas éternelle et arrivera bien un moment où le mauvais objet repointera le bout de son nez, en général lors d’une première crise ou lorsque le partenaire ne réagira pas comme l’autre l’attendrait. Il s’agira alors d’être capable de continuer à l’aimer même lorsque l’on découvrira de l’hostilité à son égard. En effet, apparaîtra ici l’ambivalence. Car chaque objet est ambivalent. Et il s’agira pour l’individu d’avoir la « capacité de vivre l’équivalent du deuil » (Lemaire, 1986, p 74) pour accepter l’arrivée de l’ambivalence chez son conjoint ce qui, par là même, lui réattribue également ses mauvais côtés. Mauvais côtés qui, rappelons le, ont pu être mis en suspens durant la phase de lune de miel. Celle-ci serait d’ailleurs « la seule expérience existentielle qui puisse avoir une valeur maturante sans caractéristiques de frustration » (Lemaire, 1986, p 164). Lorsque cette acceptation est impossible et que, par exemple, l’autre est entièrement l’Idéal du Moi de son partenaire (celui qu’il voudrait être), il sera rejeté d’un bloc, sans préavis ni retour possible.

Des mécanismes d’idéalisation du partenaire

Ceci n’est qu’un exemple de la manière dont l’inconscient va faire rencontrer des problèmes au couple. Si l’on revient au choix du partenaire et à la part belle du narcissisme, nous pouvons en citer d’autres (hors cas pathologiques). L. Wynne a introduit la notion d’« échange des dissociations » (Lemaire, 1986, p 124). Il envisage la possibilité qu’un individu souhaite « mettre de côté » certaines de ses caractéristiques personnelles qu’il considère comme désagréables ou coupables. Pour cela, il les projettera sur son partenaire. Ce processus réciproque nous montre que la rencontre et le passage en couple s’est basé sur une dyade organisée où chacun des partenaire a reconnu en l’autre ses propres défaillances. Certaines personnes, n’étant pas capable de supporter l’ambivalence qu’ils savent appartenir à l’Objet (et donc à soi), ne souhaiteront le voir que partiellement, dans certaines organisations, afin de toujours maintenir le côté qui les satisfait et ne pas risquer d’en avoir une déception. Il pourra également s’agir, par exemple, de choisir un partenaire auquel on laissera une part de mystère, dont on ne voudra pas tout savoir en espérant que les défauts resteront cachés. Pourtant, N. Prieur affirme qu’« un couple devient un lieu sécurisant,(…), quand il permet à chacun d’accueillir cet inconnu de soi » (Prieur, 2021, p 110). Il s’agirait de ne pas supposer que c’est parce qu’on aime l’autre qu’on le connaît. Cette proposition ne doit pas entrer dans le même registre. En effet, dans le premier cas, la personne nie la « part négative » de son conjoint comme défense projective contre le processus maturatif de deuil du bon objet. Alors que, selon la citation de N. Prieur, il s’agirait ici d’éviter la fusion et de cultiver l’altérité nécessaire justement à l’épanouissement du couple.

L’alliance inconsciente : évolution ou enfermement du couple ?

Revenons donc au couple « normalement » constitué selon le lien inconscient. « Freud n’a jamais réduit la relation amoureuse aux seules nécessités de l’équilibre narcissique (…) il en a au contraire lui-même bien souligné l’ambivalence » (Lemaire, 1986, p 93). La rencontre de deux individus est la rencontre de l’altérité, donc de la nouveauté, mais également celle de leur filiation et de leurs failles inconscientes respectives. Dans ce cas se créé, selon le terme donné par R. Kaës, une « alliance inconsciente du couple ». Il s’agit d’un « accord inconscient soutenant la constitution du lien et son maintien » (Robert, p 33). S’il a une fonction positive comme on a pu le voir, il a également son revers.

Le « pacte dénégatif » est un enfermement dans l’alliance. Si celle-ci représente au départ une économie psychique certaine voire une totale « béatitude » inconsciente lors de la phase de lune de miel, les choses reprennent vite leur place et « que l’on s’allie pour consolider la censure ou ses propres forces de refoulement, ou que l’on espère transformer les éléments bruts indésirables (…), chacun attend quelque chose du Nous » (Robert, p 33). L’appareil psychique doit donc s’en tenir à l’alliance. Le prix en serait la méconnaissance de ce que chacun met en jeu dans le lien, et par là-même, son évolution possible.

Qu’en est-il du désir ?

A la lumière de ce qui a été présenté ici, on pourrait avoir cette impression que finalement, presque rien ne nous appartient dans le choix de notre partenaire et la constitution du couple. Et pourtant nous y amenons un bagage infini, celui de notre filiation, mêlé à toute notre histoire infantile. Bien sûr, ne négligeons pas les aspects sociétaux et culturels.

Que reste-t-il de notre désir ? Comme évoqué dans la première question sur ce qui fait que l’on devient un couple, nous pouvons revenir sur la question du désir. Le désir aujourd’hui est partout. Comme l’exprime W. Pasini dans son ouvrage sur la force du désir, dans notre société actuelle, celui-ci s’est plutôt galvaudé en plaisir instantané, rapide et immédiat. Entraînant peut-être plus de relations éphémères. Dans cette rhétorique, nous pourrions rapprocher ici le désir d’un engagement et le fait qu’« une bataille sourde entre conscient et inconscient alimente sans cesse l’ambiguïté de nos désirs » (Prieur, 2021, p 90). Faire couple ne relèverait-il pas d’un véritable défi ?

Rachel Sturtzer